Joachim DU BELLAY (1522-1560)
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.
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Vincent Van Gogh
Bateaux de pêche aux Saintes-Maries-de-la-Mer
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Stéphane Mallarmé (1842-1898)
Brise Marine
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
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Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
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Arthur RIMBAUD (1854-1891)
Ma bohème
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
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Blaise CENDRARS (1887/1961)
Clair de Lune
La lune la lune fait des cercles dans l’eau
Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles
Et désigne toutes les étoiles du doigt
Une jeune Argentine accoudée au bastingage
Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent
la côte de France
Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle
regrette déjà
Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui
rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur
les Boulevards et lui promettent un prompt retour
Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris
Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son
rêve jusqu’au bout.
Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque
ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz
Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à
bâbord comme à tribord
Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée
Mon idée
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Gérard de NERVAL (1808-1855)
Le relais
En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L’oeil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, -
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux…
Hélas ! une voix crie : “En voiture, messieurs !”
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L’oeil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, -
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux…
Hélas ! une voix crie : “En voiture, messieurs !”
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