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mardi 16 avril 2013

Le conte traditionnel européen





Il y a fort longtemps, quand les enchantements existaient encore, vivait un roi dont les filles étaient toutes belles. La plus jeune était si belle que le soleil lui-même, qui en a cependant tant vu, s’étonnait chaque fois qu’il illuminait son visage. Non loin du château du roi se trouvait une grande forêt sombre ; et dans cette forêt, sous un vieux tilleul, il y avait une fontaine. Quand il faisait chaud, la fille du roi partait dans le bois et s’asseyait au bord de la source fraîche ; puis quand elle s’ennuyait, elle prenait sa balle en or, la jetait en l’air et la rattrapait : c’était là son jeu favori.
Mais il arriva une fois qu’elle manqua la balle, qui tomba sur le sol, roula tout droit dans la fontaine et disparut : l’eau était si profonde qu’on ne voyait pas le fond. La jeune fille se mit alors à pleurer, à pleurer de plus en plus fort.
Alors qu’elle gémissait ainsi, quelqu’un lui cria :
– Pourquoi pleures-tu, princesse ? Tes larmes attendriraient une pierre.
Elle regarda autour d’elle pour voir d’où venait la voix et aperçut une grenouille qui tendait hors de l’eau sa grosse tête affreuse.
– Ah ! c’est toi, vieille barboteuse1 ! lui dit-elle. Je pleure ma balle d’or qui est tombée dans la fontaine.
– Cesse donc de pleurer, dit la grenouille. Je vais t’aider. Mais que me donneras-tu si je te rapporte ton jouet ?
– Tout ce que tu voudras, chère grenouille : mes habits, mes perles, mes diamants et même la couronne d’or que je porte sur la tête.
– Je ne veux ni de tes habits, ni de tes perles, ni de tes diamants, ni de ta couronne. Mais si tu acceptes de m’aimer, si tu me prends comme compagne, si je peux m’asseoir à ta table, à côté de toi, manger dans ton assiette, boire dans ton gobelet et dormir dans ton lit, si tu me promets tout cela, je plongerai au fond de la source et te rapporterai ta balle d’or.
– D’accord ! je promets de t’accorder tout ce que tu veux, si tu la retrouves.
Mais en disant cela, elle pensait : « Elle vit là, dans l’eau, avec les siens. Comment pourrait-elle devenir la compagne d’un être humain ? »
Dès que la grenouille eut obtenu sa promesse, elle mit la tête sous l’eau, plongea et réapparut peu après en tenant la balle entre ses lèvres. La fille du roi fut folle de joie. Elle prit la balle et partit en courant.
– Attends ! Attends ! lui cria la grenouille. Emmène-moi avec toi ! Je ne peux pas courir aussi vite que toi !
Mais la jeune fille, qui se dépêchait de rentrer au château, ne l’écoutait pas et oublia bien vite la pauvre grenouille.
Le lendemain, tandis que la princesse était à table avec le roi et toute la cour et qu’elle mangeait dans sa belle assiette d’or, on entendit quelque chose qui montait l’escalier de marbre en faisant : splitch ! splatch ! splitch ! splatch ! Puis on frappa à la porte et une voix dit :
– Fille du roi, la plus jeune, ouvre-moi !
La princesse alla voir qui était là et quand elle ouvrit la porte, elle aperçut la grenouille. Elle referma alors bien vite et retourna à table, très inquiète. Le roi vit que son cœur battait fort et il lui demanda :
– De quoi as-tu peur, mon enfant ? Y aurait-il un géant derrière la porte, qui viendrait te chercher ?
– Oh ! non, répondit-elle, ce n’est pas un géant, mais une vilaine grenouille.
– Et que te veut cette grenouille ?
– Ah ! cher père ! Hier, alors que j’étais au bord de la fontaine et que je jouais avec ma balle d’or, celle-ci tomba dans l’eau. Cette grenouille me la rapporta, et je promis en échange de l’accepter comme compagne. Mais je n’imaginais pas qu’elle quitterait sa fontaine. Et voilà qu’elle est là dehors et veut venir auprès de moi.
On frappa en effet une seconde fois à la porte et une voix dit :
« Fille du roi, la plus jeune, ouvre-moi !
As-tu oublié ce que j’ai fait pour toi ?
As-tu oublié ce que tu m’as promis
Lorsque tu pleurais tant, hier, près du puits ? »
Le roi dit alors :
– Il ne faut jamais s’engager à la légère. Quand on fait des promesses, il faut les tenir. Va lui ouvrir.
La jeune fille obéit à son père. La grenouille entra et la suivit en sautillant jusqu’au pied de sa chaise.
– Prends-moi auprès de toi ! demanda-t-elle alors.
La princesse hésita, mais le roi lui donna l’ordre d’obéir. Quand la grenouille fut installée sur la chaise, elle demanda à monter sur la table. Et quand elle y fut, elle dit :
– Approche ta petite assiette d’or, pour que je puisse manger avec toi.
La jeune fille approcha son assiette à contrecœur. La grenouille se régalait ; quant à la princesse, chaque bouchée lui restait en travers de la gorge. À la fin, la grenouille dit :
– Allons, j’ai assez mangé et je suis fatiguée. Conduis-moi dans ta chambre et prépare ton lit de soie, pour que nous allions nous reposer ensemble.
La fille du roi se mit à pleurer ; elle avait peur de toucher la peau froide de la grenouille. Et maintenant, celle-ci allait dormir dans son petit lit tout propre ! Mais le roi se fâcha et dit :
– Tu n’as pas le droit de mépriser celle qui t’a aidée quand tu étais dans le chagrin.
La princesse saisit alors la grenouille entre deux doigts, la monta dans sa chambre et la déposa dans un coin. Quand elle fut couchée, la grenouille sauta près du lit et dit :
– Prends-moi auprès de toi, sinon je le dirai à ton père.
La princesse se mit en colère. Elle prit la grenouille et la lança de toutes ses forces contre le mur, en s’écriant :
– Comme ça au moins tu dormiras, affreuse grenouille !
Mais en retombant sur le sol, la grenouille se transforma en un beau prince au regard amoureux. Il lui raconta qu’une méchante sorcière lui avait jeté un sort dont seule la princesse pouvait le libérer. Puis il lui dit qu’ils partiraient tous deux le lendemain pour son royaume. Ils s’endormirent alors l’un à côté de l’autre.
Le lendemain matin, une voiture arriva, attelée de huit chevaux blancs. Ils avaient desplumets2 blancs sur la tête et leurs harnais3 étaient d’or. À l’arrière se tenait le valet du jeune roi, le fidèle Henri. Il avait eu tant de chagrin en voyant son seigneur transformé en grenouille qu’il s’était fait ceinturer la poitrine de trois cercles de fer pour que son cœur n’éclatât pas de douleur. Le fidèle Henri fit monter les jeunes gens dans la voiture et reprit sa place à l’arrière, tout heureux de voir son maître libéré du mauvais sort. Quand ils eurent roulé un certain temps, le prince entendit des craquements derrière lui, comme si quelque chose se brisait. Il tourna la tête et dit :
– Henri, j’entends la voiture qui se brise !
– Non, maître, mon seigneur, ne craignez rien
C’est la joie qui me libère des liens
Dont je m’étais cerclé le cœur
Pour contenir ma douleur
Le jour où cette horrible fée
En grenouille vous a transformé.
Deux fois encore on entendit des craquements et le prince crut à nouveau que la voiture se brisait. Mais ce n’était que les cercles de fer du fidèle Henri, heureux de voir son seigneur délivré.


1 Barboter : s'agiter dans l'eau ou la boue
2 Plumet : bouquet de plumes qui sert d'ornement, de décoration
3 Équipement des chevaux

J. et W. Grimm, « Le Roi Grenouille » ou « Henri de fer », Contes de l’enfance et du foyer, vol. 1, 1812, trad. Max Buchon, revue par Stanislaw Eon du val


Repères: (source: lelivrescolaire.fr)

On remarque que dans la plupart des contes, les histoires sont construites de la 

même manière, selon un même plan, que l’on a appelé schéma narratif et qui se divise

en cinq étapes :

  1. La situation initiale présente la situation de départ (lieu, époque, personnages), avant 

  2. que l’action ne commence ; elle est généralement écrite à l’imparfait.
     
  3. L’élément déclencheur est un fait ou une action inhabituelle qui fait démarrer l’action ; il 

  4. est généralement introduit par une expression comme « Un jour… », « Mais une fois… »,

  5. etc ; il est rédigé au passé simple.

  6.  
  7. Les péripéties sont les différents événements qui s’enchaînent dans le récit et qui font 

  8. avancer l’action.
     
  9. L’élément de résolution, à la fin du récit, met fin à l’action et permet de retrouver une 

  10. situation stable.
     
  11. La situation finale est la situation sur laquelle se termine le conte.




Illustrations:


William Robert Symonds, La Princesse et la Grenouille, 1894, 
huile sur toile, 110 x 112 cm, 
(Galeries d’art et musées Bradford, Angleterre).
© Bradford Art Galleries and Museums, West Yorkshire, UK






Illustration de Warwick Goble pour Le Livre merveilleux, de Dinah Maria Craik, 1913.

© Mary Evans/Rue des Archives



Walter Crane



Wilhelm Grimm (à gauche) et Jacob Grimm (à droite).


Écrivains et philologues allemands : Jakob (Hanau 1785 – Berlin 1863) et son frère Wilhelm (Hanau 1786 – Berlin 1859).
Ils se consacrèrent, après des études de droit, à des recherches sur les langues et les littératures germaniques. Bibliothécaires à Cassel, puis professeurs à l'université de Göttingen (Jakob en 1829, Wilhelm en 1831), les deux frères sont révoqués en 1837 pour avoir protesté contre l'abrogation de la Constitution du royaume de Hanovre. En 1841, ils sont nommés à l'Académie, puis à l'Université de Berlin. Jakob sera élu député au Parlement de Francfort en 1848. Jakob et Wilhelm Grimm se sont employés, comme leurs amis Arnim et Brentano, à collecter et à ressusciter les créations poétiques de la culture populaire allemande. Dès 1806, ils entreprennent de fixer le texte des contes traditionnellement racontés aux enfants dans les couches populaires, un trésor de « poésie naturelle » (Naturpoesie)menacé selon eux de disparition. Ils les collectent d'abord dans leur entourage immédiat, dans les environs de Hanau, puis, en collaboration avec des correspondants, en Hesse, en Basse-Saxe, en Westphalie (avec l'aide des sœurs Droste-Hülshoff), en Autriche et dans les Sudètes. Fruit de leur travail, les Contes d'enfants et du foyer, publiés en 1812 et 1815 en deux parties (complétées en 1822 par un volume de notes et de variantes), ont aussitôt établi la célébrité des deux chercheurs et se sont intégrés dès leur parution à la culture nationale du peuple allemand. Issus de la tradition populaire et notés avec un parti pris d'exactitude scientifique, ces contes sont aussi l'œuvre des frères Grimm, qui les ont le plus souvent transcrits en haut allemand, synthétisant plusieurs versions et châtiant ce qui leur paraissait trop cru. Quelques-uns de ces deux cents contes ressemblent à ceux de Charles Perrault (Églantine : la Belle au bois dormant ;Cendrillon : Cendrillon ; Hänsel und Gretel : le Petit Poucet), mais ils s'en distinguent par leur étrange poésie, mélange de réalisme et de fantastique, d'humour et de cruauté. Leurs Légendes allemandes (1816) fixent une partie de la tradition orale d'essence germanique et païenne, enrichie des apports de la tradition chrétienne et médiévale. Remontant toujours plus haut vers les sources de la culture nationale, les frères Grimm éditent des œuvres médiévales et reconstituent la mythologie des peuples germaniques. Jakob entreprend aussi de retracer l'histoire de leurs langues et de retrouver leur racine unique. Sa Grammaire (1819-1837) et sonHistoire de la langue allemande (1848) sont considérées comme les fondements de la philologie germanique. De 1838 à leur mort, les frères Grimm travaillent à un dictionnaire de la langue allemande qui ne sera achevé qu'en 1961. Leur œuvre scientifique, qui préfigure les orientations modernes de la philologie, est sous-tendue par les aspirations nationalistes du XIXe s. et par la foi romantique dans la pureté des origines. (encyclopédie Larousse) 




Questions (texte)

A.La situation initiale (l.1 à 9)

1.Sait-on précisément où et quand se déroule l'histoire ? 

Recopie les indications qui sont données. 

2. Qui est le personnage principal ? 

Présente-le.

B. L'élément déclencheur (l. 10 à 13)

1. Quel événement inhabituel ou "problème" va démarrer l'action ? 

2. Quelle réaction cela provoque chez le personnage principal ? 

3. A quel temps étaient la plupart des verbes dans le premier paragraphe ? 

4. A quel temps sont-ils maintenant ? 

5. Selon toi, quel est la raison de changement de temps ? 

C. Les péripéties (l.14 à 92)

1. Que propose la grenouille à la princesse ? 

2. Que demande-t-elle en échange ? 

3. Pourquoi la jeune fille accepte-t-elle aussi facilement ce "pacte" ? 

Justifie en citant le texte. 

4. Quelle est sa réaction lorsque la grenouille vient frapper à sa porte, le lendemain ? 

5. Quel rôle joue alors son père ? 

6. Quel épisode se répète entre les lignes 48 à 87 ?

7. Montre, en citant le texte, que la princesse trouve la situation de plus en plus 

répugnante ? 

8. A quel moment ne se contrôle-t-elle plus ? Cite le texte. 

D. L'élément de résolution (l. 93 à 99)

1. Quelle est la conséquence inattendue du geste violent de la princesse ? 

2. En quoi cela résout-il la situation de la princesse ? 

E. La situation finale ( l. 100 à 115)

1. L'histoire se termine-t-elle bien ou mal ? Justifie ta réponse.

2. Au début de l'histoire, l’héroïne était une petite fille. Qu'est-elle devenue à la fin  du 

récit ? 

F. Pour aller plus loin...

1. Quelle différence y a-t-il entre ce que demande la grenouille en échange de son aide

et ce que proposait la princesse (l. 22;23)

2. Comment expliques-tu le geste de la princesse, quand elle jette la grenouille contre 

le mur ? Que voulait le prince grenouille ? 

3. Selon toi, quelle pourrait être la leçon de ce conte ? 




Le Roi Grenouille à écouter...









Livre:



Film : Les frères Grimm (2005)



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